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J'ai grandi dans un monde où le téléphone fixe régnait en maître. Dans notre salon trônait le téléphone à cadran de mes parents, avec son cordon en spirale et son combiné massif. Même en cas de coupure d'électricité, cet appareil robuste continuait de fonctionner, nous reliant au monde extérieur. Les numéros de téléphone étaient soigneusement notés dans un carnet d'adresses ou mémorisés par cœur. L'annuaire téléphonique, épais et lourd, était notre Google de l'époque.

Le bruit caractéristique du cadran rotatif résonnait dans notre maison, chaque clic marquant le rythme de la composition. Les erreurs étaient fréquentes, et il me fallait souvent recommencer plusieurs fois avant d'obtenir la bonne tonalité. Les appels étaient des moments précieux, où chaque minute comptait. Mes conversations étaient brèves, économisant chaque instant facturé. Tomber sur les parents de mes amis était une expérience courante, et il fallait parfois attendre des heures avant de pouvoir parler à la personne désirée. Ces appels étaient empreints d'une certaine magie, chaque sonnerie résonnant comme une promesse de connexion dans un monde où la communication n'était pas encore instantanée. Puis, en 1996, j'ai vécu une transition marquante avec le passage de la numérotation à 8 chiffres à 10 chiffres pour toute la France.

Les cabines téléphoniques faisaient partie intégrante de mon quotidien. Après un entraînement de foot ou à la sortie du collège, je me précipitais vers la cabine la plus proche pour appeler mes parents et leur demander de venir me chercher. Ces petits abris, d'abord équipés de téléphones à pièces puis à cartes, étaient bien plus que de simples outils de communication. Ils étaient des refuges où je pouvais m'abriter en attendant qu'on vienne me récupérer, des lieux de rendez-vous où je retrouvais mes amis pour échanger quelques mots avant de rentrer chez moi. Ces cabines étaient des témoins silencieux de mes aventures adolescentes, des moments de partage et de complicité qui ont marqué cette époque de ma vie.

En 1999, alors que le bug de l'an 2000 faisait craindre une apocalypse numérique, j'ai reçu mon premier téléphone portable, un Nokia 3310. Ce petit appareil, robuste et fiable, a marqué une transition dans ma vie. Finies les files d'attente à la cabine téléphonique de la résidence universitaire, même si je continuais à les utiliser pour réduire les coûts, notamment pour appeler les lignes fixes. Mon forfait téléphonique, bien que basique, me permettait de rester connecté avec mes proches, mais chaque minute comptait. Je me souviens de mon abonnement à 99 francs par mois, qui offrait un nombre limité de minutes de communication et quelques SMS.

La curiosité et l'excitation étaient palpables à chaque nouvelle sonnerie polyphonique, chaque message texte échangé avec mes amis. Le fonctionnement du T9, la norme de l'époque pour la saisie prédictive, rendait chaque message un défi amusant. Chaque pression sur les touches devait être précise pour composer les mots souhaités, et les conversations prenaient une tournure ludique. Ce téléphone n'était pas seulement un outil de communication, mais un symbole de modernité et de liberté, ouvrant la voie à une nouvelle ère de connectivité.

Pourtant, même à cette époque, je ressentais un certain malaise face à l'usage excessif que certains faisaient de cette nouvelle liberté. Les forfaits illimités de SFR, par exemple, poussaient certains à des excès qui me semblaient déraisonnables. Je voyais des amis laisser des conversations ouvertes pendant toute la durée d'un concert, d'une soirée, ou même d'une nuit entière. Cette démesure me paraissait inconcevable, en contradiction avec mon éducation rurale, imprégnée de modération et de bon sens. J'avais été élevé dans un environnement où chaque ressource était précieuse, et cette culture de l'excès me laissait perplexe. Je préférais une utilisation plus mesurée, conscient que chaque minute comptait, même si elle n'était plus facturée.

En 2008, l'effervescence autour de la sortie de l'iPhone était palpable. Mes amis et collègues ne parlaient que de ça, chacun vantant les mérites de ce petit bijou de technologie. La tentation de céder à cette nouveauté était grande, mais je résistais encore. Mon fidèle Nokia 8210, bien que plus modeste, fonctionnait toujours parfaitement et répondait à mes besoins quotidiens. Je m'accrochais à cette simplicité, hésitant à plonger dans l'univers des smartphones, malgré l'enthousiasme ambiant.

En 2010, j'ai franchi le pas et acquis mon premier smartphone, un iPhone 3, un véritable investissement financier. Chaque nouvelle fonctionnalité, chaque application, ouvrait des horizons inexplorés. Je me souviens de la réflexion de mon patron de l'époque, qui sous-entendait que j'avais plus d'applications que lui parce que j'étais jeune. Pourtant, après un décompte minutieux, il s'est avéré que j'en avais moins de 50, et surtout moins que lui. Derrière cette expansion technologique, je commençais à entrevoir des défis environnementaux et sociaux.

En 2012, j'ai acquis un iPhone 4 pour seulement 10€, une offre tellement incroyable que j'ai cru à une arnaque. J'ai même rappelé le support Orange pour vérifier. Cette opportunité était liée au cumul de points et à la fin de série du modèle. À l'époque, les opérateurs téléphoniques comme Orange proposaient des programmes de fidélité où les clients accumulaient des points à chaque facture payée, achat d'accessoires ou souscription à des services supplémentaires. Ces points pouvaient ensuite être échangés contre des réductions ou des appareils à prix très avantageux. Dans mon cas, j'avais accumulé suffisamment de points pour obtenir un iPhone 4 à un prix dérisoire. Cependant, cette offre était également motivée par la volonté d'Orange de se débarrasser des stocks d'anciens modèles pour faire place aux nouvelles générations de smartphones. Cette pratique, bien que bénéfique pour les consommateurs à court terme, contribuait à l'obsolescence programmée et à la surconsommation de dispositifs électroniques, avec des conséquences environnementales et sociales significatives.

Cependant, avec la fin du support iOS pour ces anciens modèles, les mises à jour sont devenues régressives, incompatibles avec les nouvelles versions du système d'exploitation. Apple, suivant une politique de mise à jour régulière, cesse de supporter les anciens modèles après un certain nombre d'années. L'iPhone 4, par exemple, a reçu sa dernière mise à jour majeure avec iOS 7.1.2 en juin 2014. Après cette date, les nouvelles fonctionnalités et améliorations de sécurité n'étaient plus disponibles, rendant l'appareil de plus en plus obsolète. Les applications, quant à elles, continuaient d'évoluer, nécessitant des versions plus récentes d'iOS pour fonctionner correctement.

Face à cette situation, j'avais deux options : supprimer les applications devenues incompatibles ou changer de téléphone. Déterminé à prolonger la durée de vie de mon iPhone 4, j'ai choisi de supprimer les applications problématiques et de me contenter des fonctionnalités de base. Cette décision était motivée par mon engagement envers une consommation plus responsable et durable. J'ai persévéré jusqu'en 2017, utilisant mon iPhone 4 bien au-delà de sa date de fin de support officielle. Cette expérience m'a appris l'importance de la résilience et de la modération dans un monde où la technologie évolue à un rythme effréné.

C'est à cette époque que j'ai découvert les impacts environnementaux et sociaux de la téléphonie au travers de Fairphone. Les révélations sur les conditions de travail dans les usines de fabrication, les impacts environnementaux de l'extraction des minerais, et la montagne de déchets électroniques générée par notre consommation effrénée, ont ébranlé mes convictions. La frustration et l'indignation ont pris le pas sur l'émerveillement initial.

Face à ces défis, j'ai ressenti une nouvelle détermination. Inspiré par les principes de la permaculture, j'ai décidé de repenser ma relation à la technologie. En 2017, j'ai créé ma société ASVOLA pour concilier expertise professionnelle et convictions personnelles. Dans ce cadre, j'ai fait l'acquisition d'un Fairphone 2, un choix délibéré pour soutenir une entreprise alignée avec mes valeurs.

Fairphone se distingue par ses principes de modularité et d'éthique. Le Fairphone 2, par exemple, est conçu pour être facilement réparable et modulable, permettant aux utilisateurs de remplacer eux-mêmes les composants défectueux plutôt que de jeter l'appareil entier. Cette approche prolonge la durée de vie du téléphone et réduit les déchets électroniques. De plus, Fairphone s'engage à utiliser des matériaux provenant de sources responsables et à améliorer les conditions de travail dans ses chaînes d'approvisionnement. L'entreprise met un point d'honneur à la transparence, publiant des rapports détaillés sur ses efforts en matière de durabilité et d'éthique.

L'acquisition du Fairphone 2 a marqué un tournant dans ma quête d'une technologie plus responsable. Ce choix m'a permis de concrétiser mes convictions en matière de durabilité et de solidarité, tout en soutenant une entreprise qui partage ces valeurs. Cette démarche a également renforcé ma détermination à sensibiliser mon entourage et à promouvoir des pratiques plus responsables dans le domaine de la téléphonie.

En 2019, j'ai découvert que malgré la désactivation par défaut de mes données mobiles et du GPS, que j'activais uniquement en cas de nécessité, Google avait pu retracer mon road trip familial de l'été 2018. Ce constat illustre bien le modèle économique de Google, qui repose en grande partie sur la collecte récurrente de données. En suivant les déplacements des utilisateurs, même lorsque les fonctionnalités de localisation semblent désactivées, Google accumule des informations précieuses qui alimentent ses services publicitaires et analytiques. Cette collecte continue de données permet à l'entreprise de personnaliser ses services et de générer des revenus grâce à des publicités ciblées, tout en offrant une expérience utilisateur apparemment gratuite.

Cette prise de conscience m'a poussé à rechercher des alternatives plus respectueuses de la vie privée. J'ai opté pour Fairphone Open, une version d'Android dépourvue des services Google. Cependant, cette migration, s'est avéré être une véritable galère. La compatibilité applicative était limitée, et de nombreuses applications que j'utilisais quotidiennement ne fonctionnaient plus correctement. En tant que geek écolo invétéré, j'ai persévéré malgré les difficultés, mais je ne recommanderais ni le Fairphone 2 ni Fairphone Open à quiconque.

Après cinq années de bons et loyaux services, la carte mère a commencé à présenter des bugs de plus en plus fréquents, ce qui m'a finalement poussé à envisager son remplacement. Je me suis alors interrogé sur la modularité de mon Fairphone 2, car malgré les promesses de réparabilité et de durabilité, je n'ai jamais eu besoin de remplacer une seule pièce, pas même la batterie.

En 2022, j'ai choisi le Fairphone 3, toujours dans une optique de durabilité, mais avec une meilleure compatibilité applicative. J'ai délibérément choisi de ne pas passer au Fairphone 4, sorti en 2021, car les fonctionnalités supplémentaires qu'il offrait ne répondaient pas à mes besoins. J'ai opté pour un forfait sobriété de 2 Go/mois chez TeleCoop et un système d'exploitation /e/OS, qui privilégie la confidentialité des données.

Alors que la France a annoncé le démantèlement de son réseau téléphonique analogique en 2018, il n'est désormais plus possible d'installer de nouvelles lignes analogiques depuis le 15 novembre 2018. Cette transition technologique met en lumière la fracture numérique, particulièrement préoccupante pour les personnes âgées. Ma tante, âgée de 92 ans, en a fait l'expérience lorsqu'elle a quitté son domicile pour s'installer en résidence services. Elle s'est retrouvée contrainte de souscrire à une box internet pour disposer d'un téléphone dans sa chambre. Cette situation soulève des questions sur l'accompagnement des seniors par les organismes spécialisés. Comment se fait-il qu'ils ne puissent pas proposer des solutions adaptées, comme des lignes téléphoniques mutualisées, pour répondre aux besoins de leurs résidents ? Les téléphones fixes à cadran, symboles d'une époque révolue, ont progressivement disparu, laissant place à des technologies plus modernes, mais souvent moins accessibles pour les personnes âgées.

À l'inverse, je ne saisis pas la polémique autour des téléphones portables dans les collèges ni l'engouement des parents pour utiliser ces appareils comme des trackers GPS pour leurs enfants. Des outils comme Google Family Link, qui collectent une quantité incommensurable de données, en savent souvent plus sur les enfants que leurs propres parents. Ces pratiques sont autant de signes d'une société en quête de contrôle et de sécurité, où l'hyperconnectivité devient la norme.

Pour moi, l'utilisation du téléphone portable par les enfants devrait être abordée de manière progressive, à l'image de l'apprentissage de la traversée de la route. On commence par donner la main, puis on lâche progressivement, en restant d'abord à quelques pas derrière, puis en s'éloignant peu à peu. Ma fille a d'abord eu un smartphone Android 2 sans accès à Internet, avant de passer à un modèle plus récent avec un forfait limité pour les réseaux sociaux, puis à un autre encore plus récent. En moins de deux ans, elle a eu trois téléphones reconditionnés, mais cette progressivité lui a permis d'apprendre les dangers d'Internet et les raisons de cette approche mesurée.

Cette démarche a toutefois été socialement compliquée pour elle, car la majorité de ses amies possédaient des téléphones de moins de deux ans, souvent parce que leurs parents avaient renouvelé les leurs. Pourquoi devrions-nous subir une pression sociale dictée par les choix des autres ?

Aujourd'hui, je vois dans chaque petit geste une contribution à un avenir plus responsable. La motivation et la résolution qui m'animent sont nourries par l'espoir d'un changement collectif. Mon voyage vers la technologie responsable est loin d'être terminé, mais chaque étape me rapproche un peu plus de l'idéal d'une société plus juste et plus durable.

 

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